Par Evelyne Bennati Victoria Vesna s’intéresse aux
répercussions de l’environnement technologique sur l’homme, tant au
niveau psychique que relationnel. En 1997 déjà, Bodies © INCorporated
permettait à chacun de construire sur internet un corps virtuel, à
partir de textures, de sons et d’environnements préexistants. Il
s’agissait d’examiner comment les avatars sur le réseau pouvaient
modifier les comportements. Ce que l’on connaît aujourd’hui à grande échelle sur Second Life était à l’époque novateur et plus poétique grâce au choix des textures pour les corps. Plus récemment, Mood Swings (2004) traite des effets de l’environnement sur la santé mentale et Water Bowls (2006) tente de sensibiliser aux problèmes de pollution. L’œuvre présentée à la Maison européenne de la photographie dans le cadre du festival @rt Outsiders, Nanomandala,
a été montrée pour la première fois en 2003 au Los Angeles County
Museum of Art. Non seulement elle permet d’interroger la notion de
réalité — le thème même du festival cette année intitulé «Territoires
invisibles» —, mais aussi de faire dialoguer une démarche scientifique
très contemporaine avec une représentation religieuse du monde, en
l’occurrence un mandala de sable créé par des moines bouddhistes
tibétains. Une vidéo projette en boucle sur un large cercle de
sable les images scientifiques nanométriques de la structure moléculaire
d’un grain de sable, obtenues grâce à un microscope électronique. Peu à
peu, par le biais de très grands changements d’échelle, on voit se
construire sous nos yeux un mandala de sable par élargissement successif
du champ. L’infiniment petit contient en germe l’infiniment grand
et inversement, c’est ce qu’exprime la diffusion en boucle de la vidéo,
qui abolit la distinction entre le début et la fin et renforce
l’impression d’éternel recommencement. Le monde moléculaire, dont on ne
sait où il s’arrête ni s’il a réellement une fin, recèle une part de
magie et ouvre notre sensibilité à des correspondances fascinantes. Ce
que les moines ont fait dans la régularité et la lenteur, en posant un
grain après l’autre sur le sol, la nature l’a déjà fait en agrégeant les
atomes entre eux, et le scientifique le montre. Les moines rejouent sur
le plan symbolique, et sans le savoir aux premiers temps de ce rituel,
la construction effective de l’univers. Les correspondances entre
microcosme et macrocosme que l’installation montre renvoient
curieusement à la vision du monde des hommes de la Renaissance. Par
delà le cercle concret de sable, que l’on peut toucher pour en faire
une expérience visuelle et tactile, tout est dans tout. Le grain de
sable, représentation du minuscule et des interactions (un simple grain
pouvant menacer l’ensemble), renforce la résonance entre structure
moléculaire et mandala. La rapidité avec laquelle l’image du mandala
disparaît une fois entièrement constituée sur le cercle de sable, fait
écho au geste de destruction des moines qui balaient les grains une fois
leur œuvre achevée. Le paysage sonore de l’artiste Anne Niemetz, créé à
partir de sons enregistrés pendant la fabrication du mandala, accroît
cette coloration méditative. La fusion entre art, science et
technologie exclut le spirituel qui n’a pas sa place dans le monde
scientifique, si bien qu’il convient de laisser au XVIe siècle les
correspondances mystiques. Victoria Vesna précise au sujet de son
installation qu’« inspirée en regardant un nanoscientifique organiser
les atomes comme un moine crée grain à grain un mandala de sable, son
travail fait se rencontrer les esprits asiatiques et occidentaux dans ce
processus partagé centré sur la patience». Ce lien factice
correspond à la vision New Age de l’artiste pour qui «nous avons des
corps éthériques et pouvons établir des connexions télépathiques avec
des personnes situées à l’autre bout du monde» (2001). Tout en admettant
à propos de Nanomandala que les «deux cultures utilisent ces
méthodes de construction pour créer une image complexe du monde à partir
de points de vue extrêmement différents».
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